Altkirch, vestige d’une église Primitive
Inscrite au titre des monuments historiques
48° 56’ 00’’ N
7° 46’ 18’’ E
Située à Reichshoffen, rue des Prés.
Un cimetière fortifié
Après les grandes invasions du VIe s. et la destruction du site gallo-romain, les hommes ont recolonisé le piémont des Vosges. Aucune trace avant 994, où apparaît la première mention de Richeneshouan dans un document d’Othon III, à la tête du Saint Empire germanique. Il s’agit de la donation d’une chapelle au profit de l’abbaye de Seltz dont sa grand’mère et « tutrice » (régente) était abbesse. Quelle localisation pour cette chapelle ? Peut-être l’Altkirch avec une fonction sans doute funéraire.
Cette chapelle aurait disparu au profit d’un bâtiment reconstruit au XIIIe s. entouré d’un cimetière. L’ensemble s’implante sur un tertre que les hommes auraient édifié, rehaussant la première terrasse alluviale de rive gauche du Schwarzbach. Un épais mur de 1,4 m (révélé par la campagne de fouilles de 2011) ceinturait église et tombes. Probablement ont-ils complété le système défensif par un fossé. Ils auraient utilisé un petit cours d’eau venu de la colline et détourné, comme l’actuelle Départementale par le Sud-Est. Ce fossé n’a disparu qu’après 1990 par busage ; mais lors de violents orages il transforme les rues en torrents et reprend son parcours primitif via la rue de l’ancienne scierie pour rejoindre le Schwarzbach au plus court.
Ni église hors les murs, ni léproserie, ni haïdenkirche
La construction du XIIIe s. se fit à l’économie. Les lourdes pierres des bâtiments de l’Antiquité gallo-romaine (plutôt en rive droite de la confluence Falkensteinerbach / Schwarzbach) trouvèrent réemploi d’abord dans des fondations élargies vu le sol sableux rapporté. Egalement quelques bas-reliefs furent introduits dans les murs. La campagne de fouille a infirmé toute construction de temple (haïdenkirche) à la place du lieu de culte chrétien. Même la fenêtre monolithe serait un réemploi sur le côté Nord.
La communauté villageoise aurait été pauvre et son autorité politico-religieuse n’y aurait pas trouvé motif à intervention. Tout au plus fallait-il assurer le salut des âmes par l’intermédiaire d’un édifice religieux et enterrer les corps au plus près du lieu sacré en attente de la résurrection et du jugement dernier.
Avec la mention d’une léproserie à Reichshoffen on fit, dans les chroniques locales, l’amalgame avec le bâtiment de l’Altkirch, en dépit de toute méthode historique. Bernard Rombourg, 1er président de la Société d’histoire, rétablit la vérité, en localisant cette institution au Sud du ban communal, grâce à des cartes anciennes et la référence « Gutleuthaus » encore perpétrée dans le cadastre napoléonien.
Le lent effacement de l’Altkirch
La datation des tombes (grâce à la découverte d’un fragment de poterie) et l’existence d’un château-fort au point de confluence des 2 rivières, laissent imaginer un scénario qui serait le suivant : l’apparition des princes territoriaux avec Haguenau, capitale des Hohenstaufen, requiert de se prémunir contre les invasions du Nord. Un château, au débouché de 2 vallées, serait bon moyen de défense. Peu après la construction de l’enceinte fortifiée à l’Altkirch, une autorité civile édifie le château qui attire une communauté villageoise au pied de ses murs. C’en est fait d’un habitat à l’Altkirch, même si une autorité religieuse différente y maintient son pouvoir alors que la ville s’est entourée de remparts mais sans lieu de culte.
Les campagnes alsaciennes connaissent aux XIIIe-XIVe s. de nombreuses disparitions de villages. Dans la liste figure Wohlfahrtshoffen. Sa population, avec celle de l’Altkirch, expliquerait-elle la croissance et les agrandissements successifs du bourg et son accession au rang de ville ?
Avec la reconstruction au XIIIe s., le décimateur, l’abbaye de Sturzelbronn, a voulu à petit prix, marquer ses droits pour continuer à percevoir la dîme et nommer le curé (droit de patronage). Le lieu de culte à Wohlfahrtshoffen, comme église paroissiale d’un village disparu, aurait une histoire similaire. Si on croit un document du XVIIe s. l’Altkirch avait encore une nef ; à Wohlfahrtshoffen, la nef a été détruite au XIXe s. remplacée par un agrandissement néogothique ; mais les 2 lieux ont gardé le chœur en croisée d’ogives et l’arc brisé le séparant de leur nef respective. Demi peine si on compare au sort de la léproserie, d’une chapelle au Luterbacherhof ou d’une autre au début du faubourg de Niederbronn dont la destruction a été décidée par la municipalité en 1962.
Alors pourquoi cet intérêt pour l’Altkirch ?
La fin du Moyen Age se traduit par un retour aux critères artistiques de l’Antiquité. Les troubles religieux au XVIe s. et la guerre de Trente Ans au XVIIe s. qui ont profondément marqué l’Alsace, ont retardé ce phénomène. AU XVIIIe s. le facteur d’orgues Silbermann est de passage, croquant les ruines du château de Reichshoffen (reproduit en aquarelle un siècle plus tard par le vicomte de Bussierre). Goethe, guidé par son ami Weyland, visite la proche Wasenbourg où se trouvent des éléments de culte gallo-romains (Dans ses mémoires, il évoque la construction du nouveau château de Dietrich). L’universitaire strasbourgeois Jean-Daniel Schoepflin fait le voyage.
A l’époque, l’archéologie n’était guère répandue. Or, à l’Altkirch on voyait des pierres romaines, sans recourir à des fouilles et sans devoir faire le voyage de Rome. En attendant les découvertes de grands sites, on se contenta de ces éléments remarquables, au point de susciter l’intérêt conservateur et le prélèvement au profit de collections. Jean-Daniel Schoepflin déposséda ainsi le site au profit de Strasbourg ; mais on lui pardonne puisqu’il est à l’origine d’une nouvelle vie pour des bas-reliefs qui auraient été martelés, retaillés au Moyen Age dans un chantier plus important.
« Et s’il y avait un temple romain sous l’Altkirch ? » Très vite l’hypothèse est devenue certitude et on recopiait les erreurs sans aller aux sources ! Il a fallu la campagne de fouilles du XXIe s. pour que l’histoire se remette en place.
Au XIXe s. l’intérêt des Romantiques pour les ruines donnait à l’Altkirch d’être le sujet de dessins ou gravures. Un trou béant au mur Sud fut signalé par plusieurs correspondants de la Société pour la conservation des Monuments historiques. Une grande baie fut maçonnée en brique, ce qui sauva la construction d’un écroulement.
Les clefs de la rénovation actuelle
L’intérêt témoigné par Bernard Rombourg, principal du Collège Françoise Dolto : il mit à jour, sous les bâtiments de son établissement, des fours de potiers gallo-romains et mené une campagne de fouilles à l’Altkirch en 1972, comme d’autres passionnés d’Antiquités avant lui. Bernard Rombourg est à l’origine de la Société d’Histoire ;
La volonté de l’artiste-peintre Lotty, née Charlotte Sandrin (1932 – 2010) de léguer ses biens à la Société d’Histoire avec pour obligation d’en affecter la valeur à la préservation du patrimoine local.
Comme propriétaire, la Ville suivit les propositions de la Société d’Histoire et valida le projet après une double campagne de prospection et de sondages. La rénovation et la mise en valeur de ce monument historique ont été conçues par l’architecte Jean-Claude Goepp avec avis favorable de Simon Piéchaud, conservateur régional des monuments historiques.
Postlude
Eglise primitive ; devenue église hors les murs avec la naissance et l’élévation de Reichshoffen au rang de ville ; rabaissée au rang de construction gothique justifiée comme écrin de stèles romaines ; implantation industrielle avec une scierie qui fabriquait et rendait imputrescibles les traverses de chemin de fer ; lieu de vie avec 4 baraques et potagers suite aux destructions de logements après la 2e Guerre Mondiale, l’Altkirch s’écrivit une nouvelle page. Rattrapée par la croissante urbaine, elle pouvait être église dans les murs. Mais toute fonction religieuse lui échappe et la Ville, avec l’opportunité du legs, a grandement mis en valeur son patrimoine. Ad multos annos ... P.-M. R.